(2008) « DESAFFECTION »

Le décor indique-t-il l’état d’âme de l’auteur ?
Les ruines choisies sont belles, comme sont belles toutes les constructions anciennes qui évoquent le temps passé, l’usure du temps en liaison avec notre bref passage.
Ces images, me donne une impression de laideur, laideur de l’environnement : murs tagués, restes d’étoffes ou de tapis dans une usine désaffectée. Ces clichés me mettent mal à l’aise car ils donnent la même intensité à ces objets inanimés et au personnage animé (ou supposé comme tel), dont le corps entier semble regarder au loin, quelque chose que la photo ne peut nous donner.

Comme dans le premier cliché, le personnage est fusionné avec le décor, il se fond dans cet amas de déchets d’une usine ou d’un atelier désaffecté. Bras croisés, mains sur les épaules, le photographe, car c’est toujours lui le sujet de l’image, semble regarder au loin comme pour échapper au décor. Comment moi spectateur puis-je échapper à ce décor ? L’image m’impose d’abord la réalité de ce qu’elle représente, et dans un second temps, je peux la recevoir comme un signe par le travail de la pensée ; signe d’une société dans laquelle la laideur n’est plus cachée. L’image est vue comme la reproduction et le miroir d’une réalité mais elle est en fait un terme séparateur entre ce qu’elle représente c’est-à-dire l’objet et ce que j’en perçois. L’image ou la photographie est la présence fictive de cet objet reconnu dans son absence. En effet comme le montre Magritte en parlant de la trahison des images (ceci n’est pas une pipe puisque que c’est seulement l’image d’une pipe !) les photographies d’Harandane captent ces détritus-objet pour en faire des détritus-image qui sont similaires parce qu’en représentation. C’est la raison pour laquelle le photographe-sujet qui devient photographe-objet ne montre que sa nudité, absorbé dans l’image.

Le photographe en proposant cette image finale qui n’est pas exactement celle qu’il a vue, donne en même temps forme à des impressions enfouies de son histoire passée. C’est une forme d’équivalence de ses expériences passées dont il tente de réunir les différents morceaux clivés. L’inclusion du personnage, le photographe lui-même, fondu à l’intérieur du cliché, rend compte de son désir d’y avoir une place, faisant de l’image un contenant.
Quelle expérience initiale le photographe veut-il faire partager aux spectateurs ? Nous savons qu’à l’origine du désir de créer des images se trouve la symbolisation de l’expérience primaire de la séparation. Le bébé séparé de sa mère est triste mais chaque retour de la mère après chaque absence organise le circuit antidépressif en créant la capacité à être seul. Cette stabilisation, à partir des répétitions du retour de la mère donc de la présentification de son corps, contribue à toute fabrication d’images. Toute pensée est d’abord corporelle et l’image témoigne de cette origine. Dans les photographies présentées, le corps est doublement mis en valeur car il est presque nu comme au premier jour et c’est le photographe lui-même qui se regarde.

En se fondant dans le décor le photographe ne révèlerait-il pas la part refoulée de sa relation à l’image et donc au spectateur qui s’en imprègne ? Toute photographie regarde celui qui la regarde. Dans les photographies d’Harandane, lui-même étant le personnage inclus, cette caractéristique se trouve multipliée par l’effet du regard que comme spectateur, nous posons sur lui-même. En effet, la photographie est une forme d’image qui enveloppe le spectateur et le photographe dans une sorte de bulle où les regards se croisent.

Toute la série d’images, montre, me semble-t-il, par leur décor, un moment particulier de l’univers du photographe. Il s’en dégage beaucoup de tristesse qui suscite un grand nombre de questions.
Espérons que les réponses se trouveront dans une prochaine série de photographies.

Claude Mesmin (Docteur en psychologie clinique et pathologie)

©Harandane Dicko, Série: « désaffection » Titre: Usine de filature de coton près de Paris, Août 2008